jeudi 31 octobre 2013

La Vie Electrique... sur le site Dissidence

Le blog de Dissidences, émanation de la revue éponyme, se consacre à la publication de recensions et d'éclairages critiques sur les mouvements révolutionnaires, sur les gauches radicales et les dissidences artistiques et culturelles.
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Une excellente présentation de Jean-Guillaume Lanuque (29 juillet 2013)
Le Vingtième siècle. La Vie électrique, chez Elibron Classics, 2001 (édition originale en 1890), 238 pages.

Un compte rendu de Jean-Guillaume Lanuque

Le Vingtième siècle ou La Guerre au vingtième siècle, Le Vingtième siècle. La Vie électrique est un voyage fascinant dans l’imaginaire d’anticipation d’Albert Robida, sous forme écrite, mais égaillé de nombreuses illustrations. L’action se déroule au milieu du XXe siècle, centrée sur un tableau de mœurs typique de l’époque de sa rédaction : le fils d’un inventeur génial et fortuné, équivalent français d’Edison, ne satisfait pas aux espoirs que son père avait placés en lui. De surcroît, face à la volonté paternelle d’un mariage aux forts accents eugénistes, il tombe amoureux de la fille d’un petit fonctionnaire, ce qui conduit son père à s’ingénier à enrayer le futur mariage, ici précédé d’un voyage de fiançailles pour tester la complémentarité des futurs époux (une idée progressiste tempérée par la présence de chaperons !).

Lire Le Vingtième siècle. La Vie électrique, c’est d’abord être impressionné par la prescience de Robida, qui voit la société future comme totalement irriguée par l’électricité, avec des transports plus rapides et généralisés (par air ou par tubes), jusqu’à un ancêtre d’Internet et des webcam, utile pour communiquer ou pour s’instruire (le téléphonoscope, qui découle surtout du téléphone et ressemblerait plutôt au visiophone des années 1980). Il en est de même pour la guerre, principalement chimique, et sa généralisation évoque, comme en écho antérieur, les violences du XXe siècle. Citons également les progrès de l’émancipation féminine jusqu’à la féminisation des noms communs, éminemment actuelle (un changement qui ne semble toutefois guère ravir Robida), l’utilisation croissante du verre, ou, plus prévisible, l’accroissement de la population mondiale. Albert Robida met également en scène, dès le début de son roman, un accident industriel, la tournade, résultant d’un manque de contrôle ponctuel de l’énergie électrique. Toutefois, ce fait n’entame en rien la confiance dans le progrès et le scientisme de l’auteur, d’abord parce que cet accident, vite maîtrisé, n’a que des conséquences mineures, et ensuite parce que l’électricité permet à l’humanité d’exercer un contrôle véritablement démiurgique sur le climat, irriguant les déserts ou réchauffant l’hiver…

On doit toutefois saluer Robida pour le regard éminemment critique qu’il porte sur cette société encore plus industrialisée que celle de son temps : de la pollution généralisée qu’elle génère, il présente les effets délétères sur la santé, le vieillissement prématuré que ce culte de la vitesse (!) engendre chez certains individus, au point d’ailleurs de générer la création de parcs naturels (!!) afin d’autoriser un retour provisoire vers la vie d’antan, plus apaisée. Sa description de la bourgeoisie, assez finement qualifiée de « féodalité de l’or », ne s’apparente pas non plus à un éloge, Robida en venant même à valoriser la situation des paysans médiévaux comparativement à celle des prolétaires modernes. On retrouve également la franche hostilité de Robida à l’égard du socialisme, déjà sensible dans L’Horloge des siècles. Ici, dans une France ayant connu au moins douze révolutions depuis 1789 (sic), l’essai de mise en place concrète du « collectivisme » en 1922 a conduit à deux dénouements aussi catastrophiques l’un que l’autre : à Paris, « (…) se déroulaient des scènes de sauvagerie épouvantables, où le peuple énervé et halluciné, dans l’impossibilité de réaliser les rêves insensés des révoltés et des utopistes, des naïfs farouches et des hâbleurs, accumulait ruines sur ruines et se ruait à la folie furieuse et à l’effondrement universel (…) » (p. 120-121). Un tableau littéralement apocalyptique (qui semble anticiper certains récits sur la révolution communiste en Russie), que complète l’expérience plus constructive menée en province dans une grande concentration métallurgique. Là, c’est l’échec en quelques semaines, la gestion alternative se heurtant à l’impossible partage équitable du travail (« chacun, naturellement, réclama le travail le plus facile et le plus doux, les postes les plus tranquilles », p. 122), vision pessimiste de l’humanité condamnée à ne pouvoir s’entendre sans la férule de quelques-uns…


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